Nous avons oublié le message de Jésus


Frédéric Lenoir

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Entretien paru dans Psychologies Magazine

[...] dans votre nouvel ouvrage, vous réunissez trois figures sans grand rapport, sinon qu’elles sont dans « l’air du temps » : Socrate, Jésus et Bouddha. Pourquoi ?Parce que ce sont les trois maîtres de vie qui ont le plus marqué mon cheminement personnel. Ce sont trois rencontres que j’ai faites entre 13 et 20 ans et auxquelles je dois d’être devenu celui que je suis aujourd’hui.
Comment les avez-vous découvert ?
La première rencontre a eu lieu avec Socrate, lorsque j’ai lu « Le Banquet » de Platon. Je devais avoir 13 ou 14 ans et j’ai été touché par ce texte. Cela m’a donné envie de lire d’autres œuvres de Platon et c’est ainsi que je suis tombé sur le récit de la mort de Socrate. Qu’un homme puisse dire, au sujet de ceux qui le condamnent à mort : « ils peuvent me tuer, mais pas me nuire », j’ai trouvé cela bouleversant. Cela m’a fait réfléchir sur la grandeur de l’âme humaine et m’a incité à m’interroger sur ce qu’il y a de plus essentiel dans l’existence : est-ce l’argent, le plaisir des sens, la réussite sociale, la vie familiale, l’amitié, la liberté intérieure ? Dans un deuxième temps, j’ai été amené à découvrir le bouddhisme à travers diverses lectures.  J’ai aussitôt été frappé par les enseignements très concrets du Bouddha et qui rejoignent ces mêmes questions fondamentales. Enfin, dans un troisième temps, j’ai découvert Jésus, vers 20 ans.

Pourquoi si tard ? Vous avez été élevé dans la religion catholique, non?

Oui, mes parents étaient croyants et pratiquants, mais pour eux, la foi c’était surtout l’ouverture aux autres ; ils aidaient plein de gens, certains ont même habité un temps chez nous… Cela m’a donné une bonne image du christianisme, mais en même temps, il y avait le catéchisme et ses définitions toutes faites qui me paraissaient absurdes. A l’âge de 10-12 ans, j’ai cessé d’aller à l’Eglise. La philosophie et le bouddhisme ont pris le relais dans mes interrogations existentielles. Jusqu’à ce jour où, ayant décidé d’aller méditer quelques jours dans une ancienne abbaye cistercienne en Bretagne, je suis tombé sur l’Evangile de Jean. Comme celles de Socrate et Bouddha, les paroles de Jésus m’ont percuté. Mais plus encore : Jésus m’a touché au cœur. Ce fut une émotion foudroyante. J’ai pleuré pendant des heures sans savoir pourquoi. C’était il y a plus de 25 ans et depuis, ces trois maîtres de vie m’accompagnent. Jésus différemment des autres : je lui parle comme on parle à un être invisible avec lequel on vit une relation personnelle. C’est pour cela que je peux dire : je suis chrétien. (c'est nous qui soulignons)
Chrétien, mais dans un syncrétisme…
Pas au sens d’un mélange incohérent. Je parlerais plutôt de synthèse, c’est-à-dire que j’établis une hiérarchie entre ces différents messages. Le bouddhisme m’apporte une certaine philosophie de l’existence, il m’enseigne le détachement et l’observation de mes émotions. Socrate est plutôt un éveilleur ; quand je pense à lui, je me dis « connais-toi toi-même, et en même temps sache que tu ne sais rien ». Il m’apprend à rester humble. Quant à Jésus, c’est une présence qui m’habite. (c'est nous qui soulignons)

[...] 
Vu ce qui se passe aujourd’hui - entre les déclarations du pape et les conflits interreligieux- c’est plus confortable de s’afficher « chrétien solitaire » plutôt que catholique pratiquant…
Ce n’est pas du tout par facilité ! Si j’étais véritablement lié à l’Eglise et attaché à ses dogmes, j’affirmerai sans honte que je suis catholique… quitte à dire que je ne suis pas toujours d’accord avec le Pape ! Mais je ne me sens aujourd’hui catholique que par l’éducation que j’ai reçue – que je ne renie pas – et ma fréquentation des grands mystiques, comme maître Eckart, Jean de la croix ou Thérèse de Lisieux. Je suis sans doute davantage protestant dans ma manière personnelle de vivre la foi et orthodoxe dans ma sensibilité liturgique. Et j’essaye surtout d’être un disciple du Christ, même si je suis très loin d’arriver à mettre son enseignement en pratique ! (c'est nous qui soulignons)
[...]

Votre démarche est, en fait, spirituelle et non religieuse…

Tout à fait. Et pour moi, toutes les grandes voies spirituelles et philosophiques conduisent à un but commun : arriver à vivre pleinement sa vie, sans fermeture. Nous sommes tous marqués par des peurs, des angoisses, des blocages émotionnels liés à notre histoire personnelle. « Tout est souffrance », dit le Bouddha. L’essentiel c’est que ces souffrances ne nous incitent pas à nous replier sur nous-mêmes, dans la peur de l’autre et de la vie. Pour moi, l’essence de la vie spirituelle c’est de nous apprendre à dire « oui » à la vie, à accepter tout ce qui vient, afin de vivre pleinement, plutôt que de survivre. Et tout le chemin de la vie, c’est de passer de la peur à l’amour. (c'est nous qui soulignons)

[...]
En quoi une telle approche spirituelle peut-elle nous aider, aujourd’hui?
Deux systèmes sont en train de montrer leurs graves insuffisances : le système matérialiste mercantile et le système religieux dogmatique. Le premier peut se renouveler, notamment par des actes de consommation plus modérés, solidaires, respectueux de l’environnement. Quant à la seconde crise, elle invite, non à inventer une nouvelle religion mais, je pense, à revenir aux sources. Pour prendre l’exemple du christianisme, les Evangiles sont un trésor qui n’a pas pris une ride, alors que le discours de Benoît XVI est usé jusqu’à la moelle et ne répond pas aux vraies attentes spirituelles de nos contemporains.

N’est-ce pas risqué de se lancer seul sur ce chemin?

C’est une question d’équilibre. Il est en effet important d’avoir des guides, de rencontrer des personnes plus avancées et parfois de s’inscrire dans une communauté. C’est arrivé à plusieurs moments clefs de mon parcours. Mais il me semble aussi important de savoir quitter la sécurité des certitudes, du clan qui nous rassure… Il faut prendre de la distance vis-à-vis de ce qui nous a été inculqué afin de s’approprier la religion au fil d’un discernement personnel. Sinon, on risque de s’endormir dans la reproduction de gestes religieux extérieurs qui n’aident en rien l’individu à aller au bout d’un travail sur soi.

Cela fait de l’individu le fabricant de sa propre spiritualité…

Je dirais plutôt l’auteur ou le créateur de sa propre vie. Exister est un fait, vivre est un art. J’ajouterais que si l’individu est fondamentalement seul dans sa quête, il a toujours besoin des autres pour avancer, partager, communier. La spiritualité doit surtout nous permettre d’apprendre à aimer, et cela ne peut se faire sans les autres ! Mais on s’est tellement habitué pendant des siècles à penser qu’être chrétien c’est être baptisé et aller à la messe, qu’on en a presque oublié le coeur du message universaliste de Jésus, qui est l’amour d’autrui et la recherche personnelle de la vérité. A la Samaritaine qui lui demande s’il faut adorer Dieu à Jérusalem comme l’affirment les Juifs, ou sur la montagne de Samarie comme le font les samaritains, Jésus répond : ni l’un, ni l’autre ! Il faut « adorer Dieu en esprit et en vérité parce que Dieu est esprit ». Le vrai temple, où se fait la rencontre avec Dieu, c’est l’esprit et le cœur de l’être humain. Peu importe ensuite la culture religieuse à laquelle on appartient. (c'est nous qui soulignons)
[...]
Propos recueillis par Anne-Laure Gannac.
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