Les multiples façons dont votre esprit vous manipule


La dissonance cognitive

Lorsque nos croyances sur le monde entrent en contradiction avec les faits, ou quand la vision que nous avons de nous-mêmes est en décalage avec nos actes, nous éprouvons une tension mentale qu’il nous faut réduire à tout prix, quitte à réinterpréter la réalité. Ce phénomène s’appelle la dissonance cognitive. Le psychologue Leon Festinger développa ce concept en 1956, après avoir étudié le cas d’une secte dirigée par une certaine Marian Keech. Cette dernière prétendait recevoir des messages d’extraterrestres, qui lui annoncèrent la fin du monde pour le 21 décembre 1954. Seuls les adeptes de la secte seraient secourus à bord de soucoupes volantes. Quand le jour de la prophétie arriva, mais qu’aucune soucoupe ne manifesta le bout de ses hublots, Marian ne se démonta pas : elle expliqua à ses adeptes que grâce à leur ferveur, l’apocalypse avait été reportée. Fait surprenant, seules deux personnes quittèrent le mouvement suite à ce flop cosmique, les autres virent leur foi redoublée. Ils préférèrent « adapter » la réalité à travers le filtre de leur croyance plutôt que de remettre cette dernière en question. Cette façon de sélectionner les informations qui confirment notre vision du monde fait partie de notre arsenal de défense face aux dissonances…

La pareidolie

La pareidolie est un effet psychologique très puissant qui nous pousse à percevoir des formes précises à partir de stimuli vagues et indéterminés. Elle témoigne d’un besoin très humain qui consiste à donner du sens au chaos. Les exemples au quotidien sont nombreux : voir un visage dans les motifs d’une tapisserie ou distinguer des animaux dans les nuages sont des cas de pareidolie que nous connaissons tous. Le phénomène est particulièrement présent dans le contexte religieux : on ne compte plus les visages du Christ identifiés sur des chips, des taches d’humidité ou encore des écorces d’arbres. Dans certains cas, les apparitions présumées déclenchent un engouement colossal, comme à Clearwater en Floride où plus d‘un million de personnes se déplacèrent pour voir la Vierge sur les vitres d’un bâtiment, ou encore à Singapour en 2007 lorsque des milliers de pèlerins crurent voir un dieu-singe sur un tronc d’arbre. Le célèbre test de Rorschach où des patients doivent dire ce qu’ils perçoivent dans une série de taches est un exemple de pareidolie utilisée a des fins psychothérapeutiques. Enfin, le « visage de mars » est un des cas de pareidolie les plus connus. Mais le phénomène ne se limite pas aux stimuli visuels, et il peut notamment expliquer les hallucinations auditives qui nous font percevoir des paroles de chansons qui n’existent pas, ou encore des « messages sataniques » dans certains morceaux passés à l’envers…

La croyance en la justice du monde

Face aux malheurs d’autrui, nous préférons parfois penser que rien n’arrive par hasard, et que ceux qui souffrent ont mérité leur sort. L’idée d’un monde injuste dans lequel nous pourrions souffrir sans raison est intolérable, et il est plus rassurant de croire que chacun est responsable de ce qu’il lui arrive. En psychologie, cette vision d’un destin prévisible en fonction de nos actes est appelé « croyance en la justice du monde ». En 1987, une expérience fut menée dans plusieurs hôpitaux : une infirmière demandait à différents patients s’ils voulaient bien prêter leur montre à d’autres malades qu’ils ne connaissaient pas. Les patients choisis étaient classés en 3 catégories distinctes : ceux qui allaient être opérés, ceux qui avaient déjà été opérés, et ceux qui ne savaient pas encore s’ils allaient être opérés ou non. Ce furent ces derniers, plongés dans l’incertitude, qui acceptèrent le plus largement de prêter leur montre, comme si l’altruisme pouvait influencer le sort en leur faveur. Ce concept de justice immanente nous rend le monde plus supportable, et nous donne une illusion de sécurité tant que nous agissons dans les règles. On le retrouve en religion à travers des idées telles que la punition divine, ou le karma. Malheureusement, c’est aussi cette croyance qui pousse certains à blâmer les victimes pour les malheurs qu’elles subissent, qu’il s’agisse de viols ou de maladies…

Les prophéties auto-réalisatrices

Imaginons que vous soupçonniez votre nouveau collègue de bureau d’être acariâtre et renfermé sur lui-même. Vous évitez alors de lui parler, lui disant à peine bonjour. En retour, votre collègue va se sentir indésirable et préférera rester à l’écart. Vous interprétez son attitude comme une confirmation de vos soupçons, sans réaliser que vous en êtes la cause. Lorsqu’une prédiction influence ainsi directement la réalisation de ce qu’elle prédit, on parle de prophétie auto-réalisatrice. On retrouve les effets pervers de ce phénomène dans de nombreux domaines, comme celui de la course aux armements : un pays redoute que son voisin prépare une attaque, et décide d’augmenter le nombre de ses missiles. En conséquence, le pays soupçonné va traduire cette attitude comme une menace, et va lui aussi accroitre son armement. Les deux protagonistes vont ainsi alimenter un cycle d’hostilité ou chacun verra ses doutes confirmés par la réaction de l’autre. Les prophéties auto-réalisatrices font partie des phénomènes qui, avec entre autres l’effet Forer, permettent d’expliquer l’efficacité apparente de l’astrologie ou de la voyance. Si vous lisez dans votre horoscope que la journée se passera mal, vous vous focaliserez probablement sur les événements négatifs, vous serez de mauvaise humeur, et la prédiction sera directement responsable de ce qu’elle annonçait. De la même façon, si une voyante vous prédit que vous rencontrerez l’âme sœur dans un délai de 3 semaines, vous aurez probablement une attitude beaucoup plus chaleureuse et engageante que d’habitude, facilitant par conséquent la réalisation de la prophétie. Le psychologue Richard Wiseman avance que le phénomène peut faire office d’effet placebo lorsqu’on se l’applique à soi-même : une personne qui est persuadée d’avoir de la chance saisira d’avantage d’opportunités et participera à plus de concours, augmentant ainsi nécessairement ses chances de réussite.

L’effet Forer

Également connu sous le nom d’effet « Barnum », célèbre homme de cirque Américain qui disait qu’à chaque minute nait un gogo, l’effet Forer désigne l’impression qu’une description vague s’applique spécifiquement à notre personnalité. Ce phénomène fut découvert en 1948 par le psychologue Bertram Forer, lorsqu’il fit passer un test de personnalité à ses étudiants. En guise de résultat, Forer rendit à chacun le même assemblage de phrases types qu’il avait recueilli dans divers horoscopes : « Vous avez besoin d’être aimé, mais pourtant vous êtes critique avec vous-même. Vous avez certains points faibles, mais vous savez généralement les compenser. Vous pouvez être bavard et sociable, mais à certains moments vous êtes plutôt réservé… ». Quand Forer demanda à ses étudiants d’évaluer l’exactitude des analyses qu’ils avaient reçu sur une échelle de 1 à 5, la moyenne des notes fut de 4,26 ! La puissance de l’effet, jamais démentie, s’explique notamment par la tendance que nous avons à écarter les descriptions inexactes pour nous concentrer sur celles qui nous conviennent. Sans l’effet Forer, l’astrologie, la voyance, la numérologie et la plupart des pseudo-sciences n’auraient sans doute pas le même succès…

Les faux souvenirs

En 2003, le Dr Elizabeth Loftus confronta des étudiants qui avaient tous visité Disneyland dans leur enfance à un prospectus vantant les mérites du célèbre parc d’attractions. On pouvait y voir Bugs Bunny serrant la main d’un enfant. Quand on leur demanda d’évoquer leurs souvenirs du parc, 35% des étudiants se rappelèrent de leur rencontre avec Bugs Bunny, allant parfois jusqu’à préciser qu’il tenait une énorme carotte. Evidemment, Bugs Bunny étant un personnage de la Warner, il n’a jamais foulé le sol de Disneyland. La publicité était fausse, tout comme les souvenirs des participants. Cette expérience fait partie des nombreuses recherches qui mettent en avant le syndrome des faux souvenirs, cette tendance que nous avons à nous rappeler de choses que nous n’avons pas vécu. Si les conséquences de ce phénomène semblent anodines dans l’exemple mentionné, elles peuvent être bien plus graves lorsqu’elles s’appliquent à des témoignages de crimes, ou encore dans le cadre de la psychothérapie : certains praticiens peuvent influencer les patients à se souvenir de traumatismes imaginaires, qui permettent ensuite d’expliquer leurs troubles. Dans d’autres cas, des souvenirs réellement vécus peuvent être altérés voire transformés par l’environnement socio-culturel, ou par l’influence de personnes persuasives. Ainsi, on pense que les témoignages d’ordre surnaturel tels que les enlèvements d’extra-terrestres peuvent en partie découler du phénomène.

La connaissance rétrospective

Combien de fois avez-vous entendu des gens prétendre qu’ils connaissaient la bonne réponse après qu’elle ait été donnée ? « Je le savais déjà », « j’étais sûr que ça se passerait comme ça », « je savais qu’il serait élu », « la crise était prévisible », autant de déclarations auxquelles nous somme confrontés quotidiennement. Vous-même, en lisant cet article, vous vous êtes peut-être dit que vous connaissiez déjà les phénomènes mentionnés. Si c’est le cas, vous pourriez être victime du biais de connaissance rétrospective. Cette illusion psychologique, liée à l’organisation de la mémoire, nous donne l’impression que nous savions depuis longtemps une information que nous venons d’apprendre. Dans une expérience qu’il mena en 1975, le psychologue Baruch Fishhoff fit lire à plusieurs groupes d’étudiants un article concernant la guerre qui opposa les Anglais aux Gurkas du Népal en 1814. Il raconta ensuite à chacun des groupes comment s’était terminée la guerre, en donnant à chaque fois une fin différente. Il demanda ensuite aux participant s’ils auraient pu deviner l’issue de cette guerre avant qu’elle ne leur soit révélée. Tous les étudiants affirmèrent qu’ils en auraient été capables, aussi bien ceux qui avaient été trompés que les autres. La connaissance rétrospective explique pourquoi les événements semblent si prévisibles à certains analystes une fois qu’ils sont arrivés, qu’il s’agisse d’économie, de politique ou de société…

Les corrélations illusoires

C’est toujours quand on est en retard que les feux sont rouges, il se met toujours à pleuvoir quand on vient de laver sa voiture, et c’est toujours quand on est sous la douche que le téléphone sonne. Si vous vous retrouvez dans ce genre d’affirmations, popularisées par la célèbre loi de Murphy, c’est que vous êtes victimes des corrélations illusoires. Cette tendance à créer des relations entre des événements qui n’en ont pas s’explique notamment par le besoin que nous avons de donner du sens à ce qui nous arrive. En réalité, les feux ne sont pas plus rouges quand on est pressé, mais nous préférons nous focaliser sur les cas qui confirment notre théorie, en oubliant les autres. C’est le « biais de confirmation ». Les corrélations illusoires sont la source de nombreuses croyances populaires : vous avez sans doute entendu dire que le nombre de suicides augmentait les nuits de pleine lune, ou que certaines personnes sentaient leurs rhumatismes se réveiller en fonction de la météo. Dans les deux cas, les recherches ont montré qu’il n’y avait aucun lien statistique entre ces événements, mais les personnes qui y croient se concentrent sur les fois où leur théorie fonctionne. Les corrélations illusoires expliquent aussi la persistance de certains préjugés raciaux ou sexistes : il est plus simple de se cramponner à des stéréotypes préétablis plutôt que d’analyser chaque cas rationnellement…

La cécité d’inattention

Dans une expérience célèbre, les psychologues Simons et Chabris demandèrent à des étudiants de regarder un petit film dans lequel deux équipes jouaient au basket. Leur tache consistait à compter le nombre de passes que se faisaient les joueurs. A la fin du film, les participants donnèrent pour la plupart un chiffre correct, mais lorsqu’on leur demanda s’il avaient remarqué quelque chose de bizarre dans la vidéo, quasiment personne ne mentionna le comédien déguisé en gorille qui avait traversé l’écran en s’arrêtant à mi-parcours pour se frapper la poitrine des deux poings. La cécité attentionnelle définit cette tendance parfois spectaculaire que nous avons à ignorer ce qui se trouve sous nos yeux lorsque notre attention est concentrée sur autre chose. De la même manière, notre cerveau est très peu compétent lorsqu’il s’agit de repérer des changements dans une scène après une coupure, comme lorsqu’on détourne le regard quelques instants : dans une expérience de Simons et Levin, l’expérimentateur demande son chemin à des inconnus dans la rue. Pendant qu’ils parlent, deux ouvriers passent entre l’expérimentateur et son cobaye avec un grand panneau. Un deuxième expérimentateur caché derrière le panneau en profite pour prendre la place du premier, qui s’en va discrètement avec les deux complices. Une fois le panneau passé, la plupart des passants testés continuent à renseigner leur interlocuteur comme si ce dernier n’avait pas changé. On parle alors de « cécité au changement ». Ces deux phénomènes impressionnants témoignent de la façon dont le cerveau n’enregistre qu’un petit nombre de détails pour fabriquer notre perception de la réalité, en privilégiant des blocs d’informations, sans quoi nous serions submergés. C’est aussi pour ça que vuos arrievz à lrie cette prhase fcailenmet, bein que les lerttes soeint dans le désrdore : vrote cevraeu lit cahque mot cmmoe un tout.

Le conformisme

Imaginez que vous soyez convié à un test de vision. On vous assoit dans une pièce en compagnie de 6 autres volontaires, et un expérimentateur fait son entrée pour vous expliquer la marche à suivre : l’exercice consistera à dire si des lignes présentées sur une série d’affiches sont plus petites ou plus grandes qu’une ligne de référence tracée sur un tableau. Les participants devront donner leur réponse à l’oral, chacun à leur tour. Au début, l’expérience se déroule normalement ; les réponses semblent évidentes, et tous les participants sont d’accord. Mais au bout d’un moment, alors que l’expérimentateur présente une ligne manifestement plus longue que la ligne de référence, tout le groupe la désigne comme étant plus courte. C’est à votre tour d’exprimer votre opinion : allez vous suivre la majorité, ou dire ce que vous pensez ? Ce qu’a découvert le psychologue Solomon Asch lorsqu’il a mené cette expérience en 1951, c’est que sur une série de questions où le groupe à manifestement tort, 37% des questionnés se rallient systématiquement à la majorité, reniant leurs propres perceptions. Bien sûr, il n’y a qu’un seul véritable cobaye, les autres participants étant des complices de l’experimentateur. 75% des sujets suivent le groupe au moins une fois, et seuls 25% ne se laissent jamais influencer. Notre tendance au conformisme s’explique par la pression sociale : nous craignons d’être rejetés par nos semblables, et si le plus grand nombre n’est pas d’accord avec nous, on se persuade qu’il a probablement raison…

Le syndrome du spectateur

Essayez l’experience suivante : au milieu d’une foule, ou d’une rue très fréquentée, laissez vous tomber au sol et restez-y. Vous risquez d’attendre très longtemps avant que quelqu’un ne daigne vous apporter de l’aide, si toutefois quelqu’un vient. Et plus le nombre de personnes est important, moins il y a de chances que l’on vienne à votre secours. En psychologie sociale, ce phénomène est connu sous le nom d’effet spectateur, ou effet du témoin.

Un exemple emblematique de l’effet spectateur est le cas de Kitty Genovese. En 1964, cette jeune femme fut poignardée à mort au pied de son immeuble, devant de nombreux témoins (38 selon les journaux de l’époque). L’aggression s’étendit sur une demi-heure, durée pendant laquelle le meurtrier fit semblant de s’enfuir, avant de revenir pour terminer son oeuvre. Contactée bien trop tard, la police n’arriva que pour trouver le cadavre de Kitty Genovese, frappé de 17 coups de couteau. On sut en 2007 que les détails de l’affaire furent exagérés par les medias de l’époque, notamment le nombre de témoins, mais ce cas est toujours utilisé comme référence dans les manuels de psychologie.

Suite à ce fait divers sordide, qui propagea l’idée que les sociétés humaines étaient devenues froides et incapables de compassion, les chercheurs en psychologie voulurent comprendre ce qui motivait cette inaction. En particulier John Darley et Bibb Latane, qui démontrèrent experimentalement l’effet spectateur en 1968 : l’une des experiences consistait à faire attendre dans une pièce des participants entourés de faux « cobayes », complices des chercheurs. Soudain, un état d’urgence était mis en scène, impliquant par exemple un comédien simulant une crise d’épilepsie. Les chercheurs mesuraient alors le temps qu’il fallait aux participants pour agir, quand ceux-ci agissaient.

Ce que Darley et Latane ont révélé dans leur étude, c’est que la présence des autres inhibait l’action. Plus le nombre de sujets présents est important, moins on agit. Il y a de nombreuses raisons, notamment contextuelles, qui peuvent expliquer l’effet spectateur, mais les chercheurs se sont concentrés sur deux facteurs : l’influence sociale, d’abord, qui pousse les témoins d’une situation d’urgence à surveiller l’attitude des autres, pour voir s’ils pensent qu’il faut intervenir. Comme tout le monde fait la même chose, chacun déduit de l’inaction générale qu’une aide n’est pas nécessaire. Il y a ensuite un phénomène de diffusion de la responsabilité : les témoins supposent tous que quelqu’un d’autre va agir, par exemple quelqu’un de plus qualifié, et leur responsabilité s’atténue proportionellement au nombre de gens présents.

Pour en revenir à l’experience du début, si un jour vous avez vraiment besoin d’aide au milieu d’une foule, n’appelez pas « globalement » au secours. Choisissez une personne, et demandez lui directement de vous aider. Ainsi, vous empêchez la responsabilité de se diffuser, et vous contrez un des effets psychologiques les plus pervers qui soient…


Sources: Axolot


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