La leçon du lépreux

Nous, à Madagascar, nous avons peut-être de grandes joies. Mais il y a aussi des moments de découragement, lorsqu’on a le paludisme sous ce climat tropical humide ou lorsqu’on a des coups durs et que rien ne va plus. Ce jour-là, j’étais justement en crise comme on dirait en Europe. Rien n’allait plus. J’étais découragé. Je croyais friser une dépression nerveuse.

Or, on s’était donné le mot entre jeunes missionnaires que lorsque ça n’irait pas, on ne resterait pas seul, on irait voir le confrère le plus proche. C’est ainsi que je sautai sur la moto et me voilà parti pour une ville qui se situe à environ 70 km de l’endroit. Je voulais aller voir un ami qui était pasteur.

Je l’ai trouvé en train de passer en visite médicale les enfants des lépreux. Je ne devais pas faire un beau visage en entrant chez lui, car il me dit: «Qu’est ce qui ne va pas? Tu en fait une tête!» Et il voulait renvoyer les enfants. Je lui dit: «Non, finis ton travail. Pendant ce temps, j’irai prier un peu à l’église. Après on reparlera. »

Arrivé à l’église de la léproserie, j’ai commencé une prière hargneuse, une prière de colère. J’accablais Jésus de reproches. « Pourquoi permets-tu cela? Pourquoi ce découragement? Pourquoi cette mauvaise santé? Moi, qui ai tout donné…» Ce n’était pas une bonne prière. C’était une prière de contestation.

Soudain, la porte bougea. Je me retournai. C’était un lépreux. Il était aveugle. Dans ses orbites rouges on voyait deux boules blanches. C’était affreux à voir. Il n’avait plus ni mains, ni pieds. Et pour se déplacer, il était obligé de se traîner sur ses genoux. Ceux-ci étaient probablement atteints aussi; car il les avait protégés de deux bouts de chambre à air.

Et le voilà qui se traînait jusqu’à ma hauteur. Il était à côté de moi. Je sentais même son odeur, parce que les lépreux ont une odeur caractéristique. Et là, se croyant seul lui aussi, il se mit à prier, à voix forte. Et c’était une prière de louange, une prière d’actions de grâces, une prière merveilleuse. Je ne sais plus tout ce qu’il a dit. Mais ce que j’ai retenu, c’est ceci: «Je te remercie pour tout ce que tu as fait pour moi durant ma vie. Je te remercie même pour cette maladie. Si je n’étais pas devenu lépreux, je serais resté dans ma brousse. J’aurais probablement été un homme riche puisque je possède des zébus et des rizières. Mais je ne t’aurais jamais connu. A cause de cette maladie, j’ai abouti ici à la léproserie. Et c’est là que j’ai appris à te connaître. Et te connaître vaut plus que tout le reste. Aussi je te remercie pour tout, même pour cette maladie.»

J’avais le souffle coupé. Ma prière hargneuse aussi était coupée. Je me suis mis à pleurer. Et à voix basse j’ai conclu ma prière: «Pardonne-moi, mon Dieu. Plus jamais je ne murmurerai contre toi.»

Je suis allé voir mon ami: «Alors qu’est-ce qui ne va pas?» Et je lui ai dit avec un sourire: «Tout va bien. Tout va bien.»

Promesses, n°92 Avril-juin 1992
      

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