10 distorsions cognitives qui nous pourrissent la vie
L’idée centrale de la TC (thérapie cognitive) est la suivante: ce n’est pas le monde extérieur qui est la cause de notre humeur, mais la représentation que l’on en a, à travers nos pensées et croyances. Lorsque nous ne sommes plus capable de voir le monde objectivement, à cause de représentations tordues de la réalité, nous le voyons de manière négative, et cela est cause de tristesse, colère et anxiété.
Par exemple: si la dépression était causée par l’environnement, alors il devrait y en avoir moins là où la vie est plus agréable. Or c’est l’inverse qui est observable. La cause de la dépression n’est donc pas notre situation de vie, mais les pensées et schémas mentaux par lesquels nous interprétons les événements qui nous arrivent.
Cette idée est déjà présente dans l’antiquité, notamment chez les stoïciens. Par exemple, pour Épictète (55–135 ap. J.-C.), dans son Manuel:
« Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les représentations qu’ils en fabriquent. »
Voilà donc ce qu’il préconise:
« Ainsi donc, à toute idée pénible, prends soin de dire : “Tu es idée, et tu n’es pas du tout ce que tu représentes.” Examine-la, et juge-la selon les règles dont tu disposes… »
Je ne peux pas agir sur ce qui m’arrive, je peux difficilement changer mes émotions, par contre je peux travailler sur mes pensées et croyances. Le but de la TC est donc de devenir métacognitif, c’est à dire conscient de la manière dont on pense, et capable d’évaluer ses pensées.
10 distorsions cognitives
Une distorsion cognitive est une pensée « irrationnelle », cause d’angoisse, tristesse et/ou colère. D’après Aaron Beck, les distorsions cognitives peuvent intervenir à trois niveaux:
- Sur soi — p.ex. « je ne vaux rien »
- Sur l’environnement — p.ex. « le monde est injuste »
- Sur l’avenir — p.ex. « je ne m’en sortirai jamais »
Beck propose 6 distorsions cognitives, qui sont complétées en 1980 par David Burns. On peut bien sûr trouver d’autres listes beaucoup plus grandes…
Celles et ceux qui sont familiers avec les fallacies logiques courantes remarqueront de nombreux parallèles.
1. La pensée dichotomique (ou/ou)
Les choses sont perçues de manière radicalement polarisée, sans aucune nuance: noir ou blanc, juste ou faux, tout ou rien, excellent ou catastrophique.
Ex.: « Soit je réussi parfaitement, soit je suis nul. » Si j’ai des résultats ok (donc pas parfaits), je me trouve nul.
2. La surgénéralisation
Un ou peu d’événements sont perçus comme caractéristiques de la vie en général. Il s’agit d’une inférence injustifiée, à savoir une généralisation sans fondements.
Ex.: « une fille m’a dit non, toutes les filles vont toujours me dire non. »
3. L’inférence arbitraire (conclusion hâtive)
Une situation est interprétée sans ou contrairement aux indices à disposition.
Notamment:
- Lecture des pensées d’autrui: « je suis sûr qu’il pense que je suis idiot. »
- Erreur de prévision: « je vais rater mon examen. »
4. L’abstraction sélective (filtre)
On ne se focalise que sur certains éléments, généralement négatifs, sans prêter attention aux autres facteurs d’une situation complexe.
Ex.: 9 personnes me font des compliments après une prestation, et 1 personne une critique — et je ne porte attention qu’à la critique.
5. La disqualification du positif
Les indices positifs sont rejetés comme étant infondés, factices, sans importance.
Ex.: quelqu’un me dit que je chante bien, et je me dit que la personne ne le pense pas, ou qu’elle dit ça précisément parce qu’elle voit que ce n’est pas le cas et qu’elle veut m’encourager.
6. La lorgnette (dramatisation / minimisation)
Certains éléments sont exagérés au-delà de leur importance réelle, et d’autres sont minimisés en-deçà de leur importance.
Ex.: « En ligne (sur internet), tout le monde me respecte. Hors-ligne, tout le monde me méprise. »
7. Personnalisation
Assumer la responsabilité d’une situation qui échappe de son contrôle (de la responsabilité d’une autre personne ou de l’environnement), ou penser à tort que ce que font les autres est lié à soi.
Ex.: « si mon fils rate à l’école, c’est parce que j’ai été un mauvais père. »
8. Raisonnement émotionnel
Une émotion est considérée comme reflet véritable d’une réalité.
Ex.: « je me sens désespéré, c’est donc que ma situation est sans espoir »; « je me sens coupable, c’est donc que j’ai fait quelque chose de mal. »
9. Fausses obligations
Exigences arbitraires et irréalistes que l’on applique à soi, et parfois par extension aux autres.
Ex.: « je ne devrais jamais faire d’erreurs », « après tout ce que j’ai fait pour elle, elle devrait au moins… »
10. L’étiquetage
Une forme de surgénéralisation, dans laquelle un jugement définitif et chargé émotionnellement est collé à soi ou à d’autres.
Ex:. « je suis nul » (au lieu de: « j’ai fait une erreur »).
Ces distorsions cognitives ont l’avantage de procurer une illusion de maîtrise de son environnement; il s’agit d’une source de certitude facile. (Note: étant dans une société marquée par un héritage lourd de quête obsessionnelle de certitudes, à mon avis c’est aussi sur ce point qu’il faut travailler thérapeutiquement: remplacer une épistémologie de la certitude — qui est pathogène à tous les niveaux de la société — par une épistémologie post-critique, de l’engagement risqué et de la responsabilité.)
Pour Beck, repérer les distorsions cognitives n’est pas tout: il y a des processus plus profonds, plus difficiles à repérer, qui conditionnent nos pensées. Il appelle cela les « schémas cognitifs »: des « postulats silencieux », tacites, ancrés profondément en nous.
Ex.: « Ma valeur dépend de ce que je fais », « je dois être irréprochable », « rien n’est gratuit », etc.
Et ensuite?
Je ne présente pas ici la manière dont l’approche cognitive entend remplacer ces distorsions cognitives — et plus fondamentalement les schémas cognitifs qui les sous tendent — à travers toutes sortes de stratégies: journal, jeu de rôle, techniques de relaxation, distraction mentale, etc.
Être capable de les repérer (chez soi et chez les autres) est déjà un premier pas important.
Mais je conclue avec cette citation de Martin Lloyd-Jones, dans son Spiritual Depression, qui donne une piste intéressante:
Ne réalises-tu point que la grande partie de ton malheur vient du fait que tu t’écoutes plus que tu ne te parles? … [Le traitement préconisé par le psalmiste (Ps 42)] était le suivant: au lieu de permettre à cet ‘ego’ de lui parler, il commence à se parler à lui-même: « Pourquoi es-tu abattue, ô mon âme? » demande-t-il. Son âme l’a déprimé, écrasé. Alors il se lève et dit: « ‘Ego’, écoute voir un moment, je vais te causer. »
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